Message d'erreur

Deprecated function : The each() function is deprecated. This message will be suppressed on further calls dans _menu_load_objects() (ligne 579 dans /DATA-MD30/m/e/n/mennaisien/www/c2mf/includes/menu.inc).

Bible-03-Mc7,24-30-Cette femme était païenne

Jésus aime aller sur le terrain de l’autre. Dans ce récit, tout le monde est déplacé : personne n’est indemne. L’éduqué, en la circonstance, est le maître : Jésus se laisse évangéliser par la femme.

1- La parole de Dieu : une lecture plurielle

Annociation

Annociation, © Arcabas

 

Enzo Bianchi[1] : Les peintres qui peuvent représenter le mystère sont très rares. Je connais seulement Chagall, Rouault et, maintenant, vous. Je n’en connais pas beaucoup qui aient eu cette capacité d’accéder au mystère de Dieu, au mystère chrétien, avec un art qui soit capable de manifester la Présense.

Arcabas[2] : Lorsque les Dominicains ont réalisé l’église du plateau d’Assy, ils se sont adressés à des artistes de diverses origines, parmi lesquels Chagall, Rouault, Matisse, Léger qui n’étaient pas tous croyants. Il s’agissait de prouver que, pour nous les artistes figuratifs, il n’est pas possible d’entrer dans le sacré si on ne fait pas d’abord , réellement, de l’art. Parce que, de l’art de mauvaise qualité, il y en a eu suffisamment ! Je voudrais, pour tous les non-croyants que je connais, que mon langage porte la marque d’une générosité encore plus grande de la part des croyants, que ceux-ci fassent l’effort de descendre encore d’une ou deux marches pour alller à la rencontre de ceux qui sont loin, que ce soit un langage simple. Pour les brebis qui attendent, qui ne sont pas du même bercail et qui veulent aller vers leur pasteur, il faut un langage, non pas qui les rejoigne, mais qui les appelle. Ce n’est pas la même chose.

Enzo Bianchi : j'aimerais que vous m'expliquiez le rapport qui s'établit entre l'Ecriture et vos œuvres. Car on voit

bien que vos œuvres sont en liens serrés et complices avec la vérité que révèle l’Evangile. Comment les Ecritures sont-elles présentes dans votre vie et comment cette présence devient-elle peinture ?

Arcabas : Avant tout, j’ai la foi. Et puisque j’ai la foi, qui n’est pas une conquête définitive, je lis chaque jour l’Evangile et la Bible avec une très grande joie. Et lorsqu’un sujet me hante, j’ouvre le Livre saint et je m’aperçois que, après avoir lu le passage concernant l’œuvre que j’ai l’intention de peindre, je suis encore deux heures plus tard plongé dans le récit. Comme si je lisais une fabuleuse histoire dans le journal. Pour moi, en fin de compte, l’Evangile est un reportage de la veille. Ce qui signifie qu’il est présent : il fait partie de ma vie actuelle. Il est quelque chose qui est arrivé hier et qui, par le fait même, prend un extraordinaire relief dans ma vie. Parce que ce qui est écrit là, et qui s’est passé il y a deux mille ans, est arrivé la veille. Cela donne aux choses – comment dire ? – une existence contemporaine que je cherche à traduire dans les tableaux. C’est peut-être cela ; mais c’est peut-être aussi autre chose… Peut-être est-ce seulement le regard de l’Evangile qui traverse le mien.

Docteurs

Docteurs, © Arcabas

 


[1] Enzo Bianchi, fondateur de la communauté interconfessionnelle de Bose en Italie

[2] Arcabas est le nom d’artiste de Jean-Marie Pirot,  qui vit et travaille aujourd’hui dans l’Isère.

2- Comment l'Église lit-elle les Écritures ?

Le projet "La Bible en ses traditions" de l'École Biblique et Archéologique de Jérusalem

Il faut tenir compte du mouvement de l’exégèse et donc remettre en chantier la traduction et les annotations.
 Il s'agit de présenter le texte et sa traduction, donner des annotations strictement littéraires dans un premier moment, dans un deuxième espace, tout ce qui relève d'un enracinement dans les cultures anciennes, mais, troisièmement, et c'est le plus grand espace, l'exégèse, c'est-à-dire le travail de la lecture : le sens littéral, l'accomplissement des Ecritures, les traditions juives, les traditions chrétiennes, et dans leur diversité. Il y a du pluriel dans la lecture de l'Ecriture.

Beaucoup de nos contemporains - on appelle ça, pour simplifier un peu, le fondamentalisme - croient que, parce que on a affaire à une Révélation, on n’a qu’un sens, on a un sens en plus facile, et qu’on peut assimiler tout de suite. Le mystère ne se laisse pas mettre en bocal comme ça ! Ce n’est pas parce que Dieu s’est révélé ou a parlé qu’on a tout simplement, la Parole de Dieu, un texte, un sens, un catéchisme , fini ! J’aime beaucoup un verset, je crois que c’est d’un Psaume, qui dit : « Dieu a parlé une fois, et deux fois j’ai entendu. » Autrement dit : Dieu parle, mais… qu’est-ce qu’Il veut dire ? Et déjà l’écoute humaine si c’est celle d’une personne et d’un autre, elles n’entendent pas tout à fait la même chose, même si c’est pas tout à fait autre chose. Il y a place toujours pour une interprétation.

P. Jean-Michel Poffet,
Directeur de l’Ecole Biblique et Archéologique de Jérusalem

(Jour du Seigneur)

Les deux sens de l'Ecriture

Selon les clés de lecture employées, différents sens de l'Ecriture peuvent émerger. L'Eglise en retient deux principaux pour une approche équilibrée, dans la foi (CEC 115)

  • Le sens "littéral" lorsque les Ecritures sont lues selon le contexte historique où les textes ont été écrits.
  • Le sens "spirituel" lorsque les Ecritures sont lues à la lumière du Christ, de son incarnation, de sa mort et de sa résurrection qui leur donnent leur pleine signification.


Rembrandt, Le Christ et les deux pèlerins d’Emmaüs, 1650

Le récit des disciples d'Emmaüs est une belle illustration de cette lecture : "Notre cœur n'était-il pas tout brûlant au-dedans de nous, quand il nous parlait en chemin, quand il nous expliquait les Ecritures ?" Lc 24, 32

Les Seuils de la Foi, p70

Lorsque tu lis la Bible, c’est Dieu qui te parle ; lorsque tu pries, c’est toi qui parles à Dieu.
Saint Augustin, Commentaire du Ps 85,7

3- Évangile Mc 7,24-30 Rencontre de la femme syro-phénicienne

 Évangile (Traduction TOB)  Questionnement Correspondances
24 Parti de là, Jésus se rendit dans le territoire de Tyr. Il entra dans une maison et il ne voulait pas qu'on le sache, mais il ne put rester ignoré. "Là: Génésareth, d'après 6,53 dans une maison où Jésus enseigne ses disciples, 7,17 (voir Question 1)
Pourquoi ce voyage, et pourquoi "Tyr" ? Ce qui est sûr c'est que l'incognito exclut l'intention missionnaire.
On sort d'une controverse avec les Pharisiens et les scribes sur la véritable impureté.
25 Tout de suite, une femme dont la fille avait un esprit impur entendit parler de lui et vint se jeter à ses pieds. Comment se fait-il que Jésus subisse ainsi l'événement au lieu d'en avoir l'initiative ? Au déplacement de Jésus sur une terre étrangère, correspond celui de la femme dans une maison qui n'est pas la sienne.
26 Cette femme était païenne, syro-phénicienne de naissance. Elle demandait à Jésus de chasser le démon hors de sa fille. 'Païenne', littéralement 'grecque', ('Ελληνίς), 'syro-phénicienne':  portrait bizarre qui insiste sur les précisions géographiques.
Demande également bizarre: il faudrait 'déplacer' le démon 'hors de' la fillette !
"Grecque", non de race puisqu'elle est syro phénicienne, mais de culture, c'est-à-dire ici, païenne. Cf. Jn 7,35(BJ)
27 Jésus lui disait : "Laisse d'abord les enfants se rassasier, car ce n'est pas bien de prendre le pain des enfants pour le jeter aux petits chiens." Comment comprendre le 'd'abord' ?
Comment admettre une telle dureté de la part de Jésus, en totale contradiction avec ce qu'il disait aux Pharisiens ?
La métaphore de Jésus fait changer d'univers: on passe du plan géographique au plan domestique d'un repas où on partage du pain !
28 Elle lui répondit : "C'est vrai, Seigneur, mais les petits chiens, sous la table, mangent des miettes des enfants."  Non seulement la femme ne se braque pas mais elle déplace finement la problématique ! À la métaphore de Jésus, répond celle de la femme mais avec des déplacements significatifs dont celui du passage des "enfants (descendants 'teknôn')" aux "petits enfants ('paidiôn')".
29 Il lui dit : "A cause de cette parole, va, le démon est sorti de ta fille." Un exorcisme à distance ! Et Marc dit "parole" et non "foi" ! Quant à l'exorcisme, rien n'en est raconté ! On a l'impression que Jésus est passif et qu'il se contente de constater ce qui se produit grâce à la parole de la femme.
30 Elle retourna chez elle et trouva l'enfant étendue sur le lit : le démon l'avait quittée. Sobriété remarquable! Ni exclamation ni effusion: simple constat. L'autre rapport mère-fille évoqué dans l'évangile de Marc concerne Hérodiade et sa fille (Mc 6, 24), mais pour un traitement opposé.

Révélation, message de foi :

  1. Ce récit répond par la pratique à la critique Pharisienne qui a précédé, à propos de l'impureté. En se rendant en territoire "impur", tout se passe comme si Jésus mettait lui-même en pratique ce qu'il vient de dire : la véritable impureté n'est pas celle qu'une certaine tradition impose. Dans ce contexte la transgression est flagrante: Jésus franchit la frontière, sort de son terrain d'action ordinaire en terre juive, pour aller au-dehors.
    Mais ce mouvement est aussitôt contredit par l'incognito renforcé par l'image de la maison refuge qui laisse penser que Jésus n'avait pas de projet missionnaire.
  2. La femme porte avec elle deux autres 'intrus': sa petite fille et un démon mais aussi, au-delà, toute une terre étrangère qu'elle représente dans cette attitude de supplication.
  3. Marc a précisé, avec une redondance qui marque une insistance, qu'au plan ethnico-religieux, la femme est "grecque", ce qui bibliquement, par opposition à "juive" signifie qu'elle est païenne et qu'au plan géographique, elle est "syro phénicienne",  non par adoption mais de naissance. Bref, tout à fait 'étrangère' et donc liée à l'impur.
  4. Un peu plus haut, 6 41, Jésus "prit les cinq pains... les rompit et il les donnait aux disciples pour qu'ils les offrent aux gens". Plus loin, 6 52, Marc précisera: "Ils n'avaient rien compris à l'affaire des pains, leur cœur était endurci !" Cette fois, ce ne sont plus les Juifs qui s'invitent au partage du pain, mais les païens et c'est Jésus lui-même qui semble 'étranger' à la requête de la femme: "pas bien", "prendre et jeter", "le pain"(tôn artôn), "des enfants" (tôn teknôn = descendants), "aux petits chiens" (tois kunariois).
  5. Le terme utilisé par Jésus, 'teknôn' enfants,  insiste sur la parenté : de sang, sociale ou spirituelle; celui que la femme utilise, 'paidiôn' petits enfants, met l'accent sur la familiarité, l'attachement, l'affection. Elle introduit d'ailleurs deux diminutifs supplémentaires (miettes, petits enfants) à celui de Jésus qu'elle reprend (petits chiens ):
Jésus Syrophénicienne
"Prendre et jeter"
"le pain" (artôn)
"des enfants" (teknôn)
"aux petits chiens" (kunariois)
"mangent"
"des miettes"(psichiôn)
"des petits enfants"(paidiôn)
"les petits chiens"(kunaria)
  "dessous la table"

La Syro phénicienne rebondit sur le seul diminutif utilisé par Jésus pour se mettre à la place du petit chien, animal favori. De plus, en ajoutant leur situation, "dessous la table", elle invite à épouser leur point de vue qui est celui des petits. De manière implicite, c'est une contestation de la distinction selon le régime de la parenté, que Jésus avait proposée et qui confortait une distinction ethnico-religieuse.  Pour la Syro phénicienne, il ne s'agit pas de privilégier le rassasiement des uns, mais plutôt que tous puissent manger. Si chacun reste à sa place, il n'y a aucun danger que le pain soit enlevé aux enfants. Dès lors, petits enfants et petits chiens peuvent se nourrir simultanément.

  1. A la différence de Mt 15, 28, "Femme, ta foi est grande",  ce n'est pas la foi de la femme qui est mise en valeur ici, mais bien sa parole. Celle-ci est la cause de la délivrance de sa fille. Marc ne mentionne ni un ordre d'expulsion, ni un geste de Jésus, ni une force sortie de lui. Il fait simplement un constat exprimé au parfait passif : "le démon est sorti"; c'est déjà accompli.
  2. La parole d'Hérodiade enfermait le désir de sa fille dans son propre désir qu'elle lui dicte. Ce qui aboutit à la mise à mort de celui dont la parole l'a mise en cause. "Au contraire, aucun mimétisme chez la Syro phénicienne. Sa parole n'est orientée qu'à vaincre la résistance de Jésus et lui permettre de franchir une limite apparemment insurmontable."

Sources : notes de la Tob 2012, de la BJ 1998, L'Evangile selon Marc, Camille Focant [CbNT](Cerf).

 

Jésus et la Syro phénicienne  sont de la même trempe ! En langage plus raffiné, on dirait qu'ils sont habités par le même esprit. A Tyr, ils transgressent trois interdits : social (une femme), géographique (une étrangère), religieux (une païenne). Mais leur dialogue n'est pas d'abord verbal, il est existentiel et vital : il y va de la santé spirituelle d'une enfant. C'est là une autre frontière que la Syro phénicienne va s'employer à faire franchir à Jésus.

Celui-ci est marqué par une vision de la loi domestique où tout est vu du seul point de vue du père, maître de famille qui, de sa table, ne juge pas "bon" que le pain des enfants, c'est-à-dire de la famille, soit jeté aux petits chiens, du moins tant que les enfants ne sont pas rassasiés. La Syro phénicienne l'invite à changer de point de vue et à adopter "de dessous la table", celui des petits. Du coup, les distinctions ethnico-religieuses sont relativisées. Seule importe la faim de tous et que tous soient rassasiés.

Surtout, deux mentalités sont radicalement différenciées dans les faits. Les Pharisiens et leurs disciples, en renforçant les règles de pureté et en les étendant à des activités aussi modestes que de manger du pain, renforcent du même coup leur distinction d'avec les païens. Jésus met un point d'arrêt à cette logique. Par exemple, à la logique essentiellement passive et défensive des Pharisiens et des scribes par rapport aux esprits impurs : on étend le champ des interdits mettant à l'abri du contact, Jésus substitue une attitude offensive, (1,21-28; 5,1-20). Il ne se met pas à l'abri de l'impureté, il va de l'avant et purifie.

Cette intervention de la Syro phénicienne est essentielle pour comprendre comment l'espace où l'Esprit de Dieu peut œuvré en repoussant l'esprit impur est miraculeusement élargi. C'est ainsi que, conformément au "d'abord" de la parole de Jésus, le récit marcien s'intercale bien entre une foule rassasiée en terre juive (6, 34-44) et une autre rassasiée en terre païenne (8, 1-9).

4- Ouverture à la Parole biblique comme chemin de croissance.

Une école ouverte à tous :

Ce serait :

  1. Une école qui se préoccuperait d'abord de la santé spirituelle des enfants. Elle relativiserait quelles autres priorités ?
  2. Une école qui adopte le point de vue de la Syro phénicienne, celui des petits, du "dessous de la table". Quelle attention à la parole des enfants ?
  3. Une école où les règlements et les pratiques ne multiplient pas les interdits qui empêchent la rencontre, l'altérité.
  4. Une école où les séparations qui mettent à part les chrétiens et les "autres", les catéchisés et "les autres", peuvent être interrogées.

 

Mots-clés: