Élie était resté sur l'image de la puissance de Dieu au Carmel, face au silence du Baal. |
1- La parole de Dieu, parole aux frontières |
Dans le cycle d’Élie, quatre territoires sont délimités : l’au-delà du Jourdain à l’Est, le royaume de Sidon au Nord, le désert au Sud et Israël au centre. Les « frontières » entre ces territoires géographiques sont relativisées pour devenir symboliques d’une révélation. Chacun des quatre territoires connaît en effet une manifestation de YHWH à Élie sur un lieu élevé (chambre, montagne, ciel). YHWH agit et se manifeste donc au-delà du seul territoire d’Israël. De même pour le signe de l’eau. L’étranger et Israël sont concernés par la question de l’eau. Israël, avant le don de la pluie, tend même à s’apparenter au désert situé à l’étranger. Ce n’est que par le don divin de la pluie qu’Israël redevient une terre fertile où peut croître la vigne. Les limites géographiques de l’étranger situé au-delà du territoire d’Israël se trouvent relativisées essentiellement par l’action de YHWH lui-même. Son prophète se trouve protégé à l’étranger. YHWH lui-même s’y manifeste au Kerit, à Sarepta, à l’Horeb et pour l’enlèvement d’Élie au-delà du Jourdain. Le territoire « où ruisselle le lait et le miel » peut même devenir, par l’absence de pluie, semblable au désert qui s’ouvre au-delà de Beersheba.
|
. Si l’espace situé à l’étranger est ainsi valorisé et si le territoire d’Israël n’est plus sûr pour Élie et les prophètes de YHWH, c’est donc qu’un bouleversement est intervenu dans la manière d’appréhender les frontières. Il apparaît en effet que pour le narrateur prime avant tout un autre type de « frontière » : celle qui sépare ceux qui reconnaissent YHWH de ceux qui adorent les idoles. L’étrangère de Sarepta, qui ne connaît pas YHWH, accueille pourtant son prophète : elle est sauvée avec son fils. À l’inverse, l’étrangère Jézabel (jeu de mot péjoratif : la mouche de Baal) qui impose le culte de Baal et massacre les prophètes de YHWH, meurt dans d’atroces conditions ainsi que son fils Akhazias dans la chambre haute : « le lit sur lequel tu es monté, tu n’en descendras pas, car tu mourras certainement. » (2R 1, 4.16). Texte : D'après J. Riaud, La figure de l'étranger dans la Bible et ses lectures. |
|
2- Comment l'Église lit-elle les Écritures ? |
Exil… Le prophèteCe qui fonde le prophétisme d'Élie c'est l'expérience dans sa propre chair de ce déchirement qui le fait naître à lui-même en même temps qu'à son Seigneur comme le peuple est invité à le faire : "O Dieu, nos pères nous ont raconté l'œuvre que tu fis de leurs jours... Et pourtant, tu nous as rejetés et bafoués, tu ne sors plus avec nos armées, tu nous fais reculer devant l'adversaire, nos ennemis ont pillé à cœur joie." Ps 44 Bien des psaumes expriment le retournement de situation vécu par le peuple de la Bible au moment où s'imposent les grandes puissances politiques. En effet, entre le VIIe siècle av. J.-C. et le Ier siècle ap. J.-C., les invasions déferlent les unes après les autres sur le bout du croissant fertile. Le peuple de la Bible entre dans le chaos. Cette longue période, que nous appelons l'Exil, recouvre en fait une suite de défaites et plusieurs déportations. Les Seuils de la Foi, entrer dans la foi avec la Bible. (éd. Parole et Silence 2009) |
Exil… Du "mémorial" au "silence"
|
3- 1 Rois 19, 8-13 "Pourquoi es-tu ici, Élie ?" |
(Traduction TOB) | Questionnement | Correspondances | |
|
-Pourquoi ce chiffre symbolique ? -Pourquoi aller à l'Horeb en traversant toute la Palestine, au lieu d'aller dans un pays voisin: Damas ou le Liban ? |
-Il rappelle les 40 ans passés dans le désert par le peuple de Dieu (Nb 14,33), ainsi que le séjour de Moïse sur la montagne (Ex 24,18). -En allant à Beersheba et l'Horeb, il retourne à la source fondatrice. |
|
|
- Quelle "caverne " ? - Parole surprenante, en forme de provocation. |
- La caverne précisément désignée par la tradition : celle où l'on pensait que Moïse avait séjourné. (Ex 33, 21-23) - La même question est reprise en finale de la péricope. |
|
|
-"Le Seigneur" est bizarrement évoqué à la 3ème personne dans un contexte de dialogue en "tu". -Élie donne bien l'explication de son exil-fuite au désert: il y va de son existence même de prophète. |
- On peut bien sûr l'expliquer par une césure rédactionnelle... mais il y a plus. - Pas de distance entre l'être du prophète et sa mission. |
|
|
- Même curiosité rédactionnelle: c'est le Seigneur qui parle de lui-même à la 3ème personne. - Paradoxe du "sors !" Tout invite au contraire Élie à se cacher et à rester dans la caverne. |
- La 3ème personne permet de manifester une distance : de soi à l'autre, de soi à soi. - On retrouve le "détour" de Moïse à l'Horeb, pour le buisson ardent. Quitter le chemin coutumier serait une condition de la rencontre de Dieu. |
|
|
-Première image apocalyptique brutalement relativisée : quelle idole est ici visée ? Les hiérophanies du Baal ou Le Sinaï, le Carmel ? | - Image de la puissance immatérielle du souffle. Quel esprit nous habite dans notre mission ? La puissance magique ou l’Esprit ? | |
|
-Seconde image aussi fortement contestée. | - Puissance matérielle cosmique comme signe de la présence divine dans les religions traditionnelles. | |
|
-Troisième image-idole. | - Puissance lumineuse, synthèse des deux précédentes. Comme si le prophétisme contestait justement ce à quoi on attribue habituellement de l'importance. | |
|
- Expression bizarre: littéralement le bruit d'un silence ténu, "la voix d'un fin silence" (Lévinas). Comment concilier "silence" et "bruit" ? | - La Tob suggère que ce silence ne devait pas être moins redoutable pour Élie que le vent, le tremblement de terre ou le feu ! | |
|
- Comment entendre le silence ? - Pourquoi ce silence est-il significatif de la visite divine annoncée ? - Pourquoi ce redoublement de la question initiale ? |
- Entendre le silence évoquerait une expérience mystique, bien différente de la hiérophanie tonitruante du Carmel. Le bruit n’est pas la parole. - Comme si les mêmes mots n’avaient plus le même sens : que fais-tu ici ? |
Révélation, message de foi :
. |
La fidélité à la foi reçue d'Abraham, d'Isaac, de Jacob et de Moïse fonde l'assurance prophétique d'Élie et de sa mission. C'est avec cette assurance qu'il prie Dieu d'embraser l'autel du Carmel et c'est avec assurance qu'il liquide les prophètes du Baal figures de ses propres démons intérieurs. Résultat : les fils d'Israël abandonnent l'alliance et Élie entre en crise. Il part en exil au désert où l'angoisse le plaque au sol et il demande la mort ! Et si le faux prophète c'était lui ! La naissance du vrai prophète ne peut faire l'économie de l'épreuve qui a un goût de mort : épreuve du doute, de la faim et de la soif, épreuve de la mort du fils de la veuve de Sarepta, épreuve de l'exil. Ce sont ces épreuves qui le ramènent à ses limites, à ses frontières, à sa source, là où tout s'est joué, et peut se jouer encore : au-delà de Beersheva où il laisse son serviteur, jusqu'à la montagne de Dieu, l'Horeb où Moïse s'était tenu. Lui se recroqueville dans la caverne malgré l'invitation divine : sors ! Et c'est là qu'il découvre le Tout Autre. Dieu n'est pas Celui qu'il croyait, Celui du Sinaï, Celui du Carmel. Il peut sortir, c'est à dire naître et vivre avec son Seigneur puisque, comme la sienne, sa Parole est devenue la voix d'un fin silence. Ce nouveau seuil de sa foi fonde sa mission nouvelle : la toute-puissance du Seigneur se découvre dans sa faiblesse silencieuse. Il peut aller et faire de même. |
4- Ouverture à la Parole biblique comme chemin de croissance.Une école catho aux frontières... Ce serait donc :
|